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Appel à communication - «Artisans du désastre : Figures et formes de la destruction dans le roman français et québécois contemporain»

Appel à communications
(Journée d’étude Figura)
Le 26 avril 2016

Artisans du désastre :
Figures et formes de la destruction dans le roman français et québécois contemporain

Dans son essai Désirs de disparaître. Une traversée du roman français contemporain, Dominique Rabaté explique que « si le désir de désertion, de rupture avec les contraintes sociales n’est pas un phénomène nouveau, il prend dans les sociétés où nous vivons un tour inédit, du fait de l’extension prodigieuse des modes de contrôle, à cause de ce qu’[il] appell[e], à la suite de Giorgio Agamben, l’empire envahissant des dispositifs. » (Rabaté, 2015 : 21) Perdu dans « ce monde de l’omnivisibilité » (Rabaté, 2015 : 21), dans ce panoptique généralisé que dessinent nos espaces actuels, le sujet contemporain semble notamment « vouloir répondre par une stratégie de soustraction, de retrait ou d’effacement. » (Rabaté, 2015 : 23).

Si, devant l’étrangeté radicale et le caractère oppressant des espaces du quotidien, les personnages mis en scène dans plusieurs romans contemporains adoptent bien une attitude passive, ou entretiennent divers réflexes de protection, de retranchement et de fuite, à l’opposé, un large pan de la production littéraire actuelle en propose d’autres, séditieux, qui choisissent d’agir sur cet espace qui leur échappe, quitte à l’abolir littéralement. On ne peut que remarquer la prégnance de cette figure du personnage destructeur dans la littérature française et québécoise contemporaine. Chacun à leur manière, les personnages semblent chercher à transcender leur propre peur de la fin (du monde, d’une relation amoureuse, d’une période de leur vie, etc.) en la provoquant selon leurs moyens, à leur échelle. Pensons au narrateur-jardinier de Ruines-de-Rome de Pierre Senges (2002), qui souhaite provoquer une apocalypse végétale, ou à l’employé frustré d’Air conditionné de Marc Vilrouge (2002) qui charrie discrètement de la viande avariée dans la tour à bureaux où il travaille, ou encore à l’homme désabusé de Faire l’amour de Jean-Philippe Toussaint (2002) qui garde sur lui en permanence un flacon d’acide chlorhydrique « avec l’idée de la jeter un jour à la gueule de quelqu’un » (p.11). Au Québec, on peut évoquer « le Fêlé » poseur de bombes dans Fleurs de crachats de Catherine Mavrikakis (2005) ou encore Xavier X. Mortense, l’apprenti démolisseur qui erre dans le New York dévasté de Music Hall! de Gaétan Soucy (2002). D’une manière plus précise, il conviendrait de s’intéresser tout particulièrement aux figures du pyromane et de l’incendiaire qui se déploient avec une étonnante constance dans les romans français, et surtout québécois depuis les années 1990 : pensons aux romans Les ponts de Jean-François Chassay (1995), C’est pas moi, je le jure! de Bruno Hébert (1997), La petite fille qui aimait trop les allumettes et L’Immaculée Conception de Gaétan Soucy (1998 et 1999), Le ciel de Bay City de Catherine Mavrikakis (2008), J’ai eu peur d’un quartier autrefois de Patrick Drolet (2009), Brigitte des Colères de Jérôme Lafond (2010), etc.


Dans le cadre de cette journée d’études, nous chercherons à saisir les diverses implications de ce motif de la destruction qui traverse les fictions contemporaines, nous tenterons de dégager ses principales figures, ses configurations récurrentes. Peut-on associer ces fictions à cette « littérature inquiète » dont parlent Dominique Viart et Bruno Vercier (2008 : 19), à toutes ces œuvres qui doivent composer avec les spectres des tragédies du XXe et du début du XXIe siècles : « Auschwitz et Hiroshima, […] [mais aussi] Rwanda, Srebrenica, Tchétchénie; des dates aussi : le 11 septembre qui relie de son cinglant sarcasme les années 1973 et 2001, le terrorisme d’un État interventionniste à Santiago du Chili et le terrorisme religieux fanatique à New York. » (Viart et Vercier, 2008 : 193) De la même façon, nous nous demanderons si l’on peut articuler la question de la destruction à celle de la prolifération actuelle de l’archive? À un rapport trouble avec l’héritage et la mémoire? Peut-on plutôt associer le désir de destruction à cette « crise de la territorialité » (Turco, 2000 : 289) qui couve dans les sciences sociales en général depuis la seconde moitié du XXe siècle ?  À cette « précarité générale de la culture et de l’habitation de l’espace dans le Nouveau Monde » (Nepveu, 1998 : 266)? Ou encore à cette « perception du lieu inquiète » qui affecte le sujet face à ces Espaces en perdition (Harel, 2007 : 1) qui caractérisent l’ère contemporaine?

Rébellion face à « l’omnivisibilité du monde », volonté de fuir « l’empire des dispositifs », hantise et réminiscences des tragédies des XXe et XXIe siècles, symptôme d’une « crise du territoire », révolte contre la « précarité de l’habitation », mise à mal de ces « espaces en perdition » : les avenues sont nombreuses pour tenter d’appréhender cette incertitude spatiale qui pousserait le sujet contemporain à détruire le (son) monde.

Les axes d’analyse envisagés :

-Figures du terroriste, du pyromane, du personnage séditieux
-Les lieux de fomentation de la destruction
-Le rapport au temps et à la mémoire que suggère l’agir séditieux
-La destruction comme réminiscence de tragédies (génocides, attaques terroristes, etc.)
-L’effacement des traces, la question de l’empreinte
-Liens entre destruction, paranoïa et imaginaire du complot
-Mise en récit de la destruction
-Narration et destruction
-Énonciation de la destruction
-etc.


La journée d’études se tiendra à l’UQAM le 26 avril 2016. Les propositions (environ 200 mots)  suivies d’une courte notice biobibliographique doivent être envoyées pour le 20 décembre 2015 à Jean-François Chassay chassay.jean-francois@uqam.ca  et Marie-Hélène Voyer voyer.marie-helene@courrier.uqam.ca

 


Repères bibliographiques

NEPVEU, Pierre, Intérieurs du Nouveau Monde. Essai sur les littératures du Québec et des Amériques, Montréal, Boréal (Papiers collés), 1998.

HAREL, Simon, Espaces en perdition, tome I. Les lieux précaires de la vie quotidienne, Québec, les Presses de l’Université Laval (Collection Intercultures), 2007.

RABATÉ, Dominique, Désirs de disparaître. Une traversée du roman français contemporain, présentation de Mathilde Barraband, Rimouski, Tangence éditeur, coll. « Confluences », 2015.
TURCO, Angelo, « Chapitre 19. Pragmatiques de la territorialité : compétence, science, philosophie », dans LÉVY, Jacques et Michel LUSSAULT [dir.], Logiques de l’espace, esprit des lieux. Géographies à Cerisy, Paris, Belin (Mappemonde), 2000, p. 287-298.
VIART, Dominique et Bruno VERCIER, La littérature française au présent : héritage, modernité, mutations, 2e édition augmentée, Paris, Bordas, 2008.